dimanche 27 mai 2012

ÉMILIE DEQUENNE, PRIMÉE À CANNES AVEC LE FILM "À PERDRE LA RAISON" DE JOACHIM LAFOSSE


« A perdre la raison » laisse Cannes sans voix
FABIENNE BRADFER
mardi 22 mai 2012, 15:33
S'inspirant librement de l'affaire Lhermitte, Joachim Lafosse signe son film le plus humain. Les critiques présents à Cannes sont restés sans voix, scotchés par le film et la performance d'Emilie Dequenne. La critique de Fabienne Bradfer
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Pitch du film
Murielle et Mounir s'aiment passionnément. Depuis son enfance, le jeune homme vit chez le Docteur Pinget, qui lui assure une vie matérielle aisée. Quand Mounir et Murielle décident de se marier et d'avoir des enfants, la dépendance du couple envers le médecin devient excessive. Murielle se retrouve alors enfermée dans un climat affectif irrespirable, ce qui mène insidieusement la famille vers une issue tragique.
Ce qu'on en attend
Comment Joachim Lafosse, cinéaste ayant toujours mis, d'une façon ou d'une autre, les dysfonctionnements familiaux et la notion des limites au cœur de ses films depuis son court-métrage de fin d'études « Tribu », allait-il transcender l'affaire Lhermitte (le quintuple infanticide de Nivelles), s'en dégager et en faire une fiction à portée universelle ? De quelle manière, à travers cet acte monstrueux qui reste un drame humain, questionne-t-il notre société ? Comment Tahar Rahim, Emilie Dequenne et Niels Arestrup allaient donner chair à cette tragédie, à ces personnages ?
Ce que j'en pense
D'emblée, Joachim Lafosse désamorce le suspense : l'issue de son histoire est fatale. Il le montre par une scène heureusement sobre : quatre petits cercueils blancs glissent sur le tapis roulant d'un avion en partance pour le Maroc.
A partir de là, Lafosse se libère de la charge émotionnelle primaire que peut susciter le fait divers et entre dans le vif de son sujet : essayer de comprendre comment Murielle si douce avec ses enfants en arrive à commettre l'innommable. Il renvoie donc le spectateur au commencement, à la rencontre, à l'élan amoureux entre Murielle et Mounir. Sans esbroufe, il les filme dans leur passion : un homme et une femme avec leurs petites galères. Il les filme au fil des ans, de la vie, des naissances des enfants, du confort apporté par le docteur Pinget, l'ami incontournable. Il filme la passion qui mue, le quotidien qui devient oppression, la personnalité qui s'évanouit. Murielle et Mounir changent sous nos yeux : elle perdant sa grâce, lui sa patience ; tous deux perdant leur liberté, leur identité par manque d'émancipation. Au milieu d'eux, entre eux, l'homme généreux, bienfaiteur, animé de bons sentiments et qui protège même à leurs dépens.
Joachim Lafosse adopte profil bas, évite tout effet de style, opte pour la simplicité et met en avant ses personnages, donc ses acteurs tous remarquables de justesse car totalement abandonnés à la vérité de leur personnage -le travail que fait Emilie Dequenne est impressionnant ; Tahar Rahim et Niels Arestrup, le duo du « Prophète », d'Audiard, explorent bien une autre complicité.
Ce qui est à la fois troublant et rassurant, c'est que le réalisateur nous met en empathie avec chacun d'eux. Joachim nous renvoie ainsi à nos propres failles de violence, de faiblesse. Mais son parti-pris est clair : épier les signes extérieurs qui mènent à la monstruosité, montrant que Muriel perd peu à peu pied et ne trouve aucun recours durable.
Au final, on a l'impression d'avoir compris le cheminement humain qui conduit au drame mais résonne ce titre « A perdre la raison » comme une bouée de sauvetage, quelque chose de rassurant pour éviter de sombrer dans le gouffre de l'évidence que l'énigme reste entière et qu'elle nous dépasse.
Avec « A perdre la raison », qui fait penser aux traitements cinématographiques de l'affaire Romand traitée par Nicole Garcia et Laurent Cantet, Joachim Lafosse signe sans doute son film le plus humain.
Petit plus
Le film sort en salle le 30 mai.
Petit plus en plus
Joachim Lafosse ne serait-il pas d'une certaine façon notre Vinterberg, notre Haneke ?

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